34.

LE RÉCIT DE LASHER

Laissez-moi vous ramener à mes tout premiers instants, tels que je me les rappelle, en ignorant volontairement ce qu’on m’a raconté par la suite, dans cette vie ou dans une autre, en ignorant ce que j’ai vu dans mes rêves.

Je me souviens avoir été allongé près de ma mère sur un lit à panneaux lourdement sculptés, aux montants surmontés d’un bulbe et tendu de velours ocre. Les murs de la pièce étaient de la même couleur, à l’exception du plafond qui, comme le ciel de lit, était de bois foncé. Ma mère pleurait. Cette pauvre créature triste aux yeux sombres était terrifiée et tremblait de tous ses membres. Je lui tétais le sein et l’avais en mon pouvoir car j’étais bien plus grand et plus fort qu’elle et, tandis que je buvais son lait, je m’accrochais à elle.

Je savais qui elle était. J’avais été en elle et je savais que sa vie était en danger car, lorsque ma monstruosité serait révélée, on la traiterait immanquablement de sorcière et on la mettrait à mort. Elle était reine. Or, les reines ne pouvaient mettre au monde des monstres. Je savais également que le roi ne m’avait pas encore vu, que les femmes le retenaient hors de la chambre. Elles étaient aussi terrifiées par moi que ma mère.

Je désirais l’amour de ma mère. Je voulais son lait. Les hommes du château tambourinaient à la porte et menaçaient d’entrer de force dans la chambre si on ne leur expliquait pas immédiatement pourquoi on les laissait dehors.

Ma mère ne cessait de pleurer et refusait de me toucher. En anglais, elle disait que Dieu l’avait maudite pour ce qu’elle avait fait, que Dieu l’avait punie, ainsi que le roi, et que tous ses rêves s’étaient écroulés. Moi, ma difformité, ma taille, le fait évident que j’étais un monstre étaient une punition du ciel. Je ne pouvais être un humain.

Que savais-je à cet instant-là ? Que j’étais à nouveau de chair. Que j’étais revenu. Que j’avais réussi, au bout d’un voyage apparemment sans fin, à regagner une fois de plus le port, sain et sauf. J’étais heureux.

Je n’en savais pas davantage, hormis le fait que je devais prendre la situation en main.

J’entrepris donc de calmer les femmes, leur révélant ainsi que je savais parler. Je dis que j’avais bu assez de lait. Que je pouvais sortir et me procurer par moi-même du lait, du fromage et tout ce dont j’avais besoin. Je voulais mettre ma mère hors de danger. Je leur dis donc que, pour le bien de ma mère, il fallait m’emmener du château à l’insu du reste de la cour.

Le fait que je sache parler et raisonner, que je sois non seulement un nouveau-né géant mais, par ailleurs, doté d’un esprit et d’une raison, provoqua un choc et un grand silence. Ma mère se releva et me regarda à travers ses larmes. Elle leva la main gauche et j’aperçus la marque de la sorcière, le sixième doigt. Je savais que j’étais revenu à travers elle parce qu’elle était une puissante sorcière et que, cependant, comme toutes les mères, elle était innocente. Je savais également qu’il me fallait absolument quitter cet endroit pour rejoindre le vallon.

Ma vision du vallon ne comportait ni contour ni couleur ni contraste. C’était juste un concept comparable à un écho. Je ne perdis pas de temps à me demander « quel vallon ? » Le danger était trop grand dans ce château. Je voyais encore autre chose : un cercle de pierres et, à l’extérieur, un cercle de personnes entouré d’un autre cercle de personnes et encore un autre et encore un autre. Cette multitude de cercles concentriques tournait et un chant gracieux s’en élevait.

Mais cette vison était fugitive.

J’annonçai à ma mère que je devais retourner au vallon dont je venais. Levant les bras, elle chuchota le nom de mon père : Douglas de Donnelaith. Elle dit aux femmes d’aller le trouver à la cour et de le ramener le plus vite possible. Elle dit également quelque chose que je ne compris pas, une histoire de sorcière s’accouplant avec un sorcier, que Douglas avait été une terrible erreur et que, en essayant de donner un héritier au roi, elle avait commis une faute irréparable pour une sorcière.

Elle retomba en arrière, à demi inconsciente. Par une petite lucarne percée dans la porte menant sur un passage secret, la sage-femme annonça aux hommes la tragique nouvelle : la reine avait mis au monde un enfant mort-né.

Mort-né ! Je me mis à rire. C’était un rire doux, aussi étonnant pour moi que respirer ou boire du lait, et réconfortant. Mais cela ne fit qu’effrayer un peu plus les femmes. J’aurais dû naître dans l’amour et la joie.

À travers la porte, des voix disaient que le roi voulait voir son fils.

— Trouvez-moi des vêtements, ordonnai-je aux femmes. Dépêchez-vous. Je ne peux pas rester nu et sans défense.

Elles furent heureuses d’avoir enfin l’occasion d’agir et transmirent le message par la lucarne du passage secret.

Je me demandais comment j’allais être habillé car les vêtements de l’époque ne m’étaient pas familiers. Plus j’observais les dames d’honneur, la sage-femme et ma mère, plus je me rendais compte à quel point les temps avaient changé.

Ne me demandez pas en quoi ils avaient changé. Je n’en sais fichtre rien. Enfin, je fus habillé de vêtements de velours vert empruntés au plus grand et au plus mince des hommes de la suite du roi : une courte cape sans manches bordée de fourrure, une ceinture à la taille et une tunique plutôt longue. Les cuissardes ne m’allaient pas très bien car j’avais les jambes trop longues. Mais la tunique couvrait bien le tout.

En me découvrant dans le miroir, je fus agréablement surpris. Je savais que j’étais beau, sinon les femmes auraient été bien plus effrayées.

Mes cheveux bruns n’atteignaient pas encore mes épaules. Mes yeux étaient marron, comme ceux de ma mère. Je me coiffai du chapeau bordé de fourrure qu’on me remit.

La sage-femme tomba alors à genoux.

— C’est le prince, s’écria-t-elle. C’est l’héritier que le roi désirait tant.

Les autres femmes secouèrent la tête d’horreur et tentèrent de la calmer en disant que c’était impossible. Ma mère tourna la tête sur l’oreiller et redoubla de pleurs en appelant sa mère, sa sœur, ceux qui l’aimaient, sachant d’avance que personne ne prendrait sa défense. Elle ajouta même que, si ce n’était pas un péché mortel, elle se supprimerait.

Je devais fuir. J’avais peur pour ma mère et, en même temps, je la haïssais de ne pas m’aimer, de me considérer comme un monstre. Je savais ce que j’étais, qu’il y avait un endroit pour moi et que j’avais un destin. Son attitude était indigne et cruelle mais je ne trouvais pas les mots pour me défendre. Je voulais la protéger.

Alors que je patientais dans cette chambre éclairée à la bougie, au milieu de toutes ces femmes, sous le sombre plafond de bois, la sage-femme retrouva ses esprits et sa joie première s’envola. Il fallait emmener ce monstre et le détruire.

Détruire ! Toujours la même rengaine. Pas cette fois, me dis-je. Je ne me laisserais pas faire. Je devais en apprendre davantage chaque fois et il n’était pas question de me laisser détruire.

Mon père, Douglas de Donnelaith, finit par arriver par le passage secret. C’était un grand homme hirsute, vêtu plutôt grossièrement, mais noble dans son manteau de fourrure.

Il avait reçu la nouvelle au château et avait répondu en grande hâte à l’appel de la reine. Lorsqu’il me vit, son visage exprima l’étonnement et non l’horreur que j’avais lue dans le regard des femmes. Je décelai également en lui un sentiment vital pour moi, une sorte de révérence. Il murmura :

— Ashlar, celui qui revient éternellement.

Ses cheveux étaient bruns et ses yeux marron, traits qu’il partageait avec la pauvre reine et moi-même. J’étais donc Ashlar. Cette nouvelle me pénétra comme si mon père avait jeté ses bras autour de moi et m’avait couvert de baisers. J’étais heureux mais, regardant ma mère, je fondis en larmes. Je dis :

— Oui, père. Mais ce lieu m’est hostile. Il nous faut partir.

Je pris alors conscience que je n’en savais pas davantage sur moi ou sur lui que ce que j’avais entendu. Quelle impression étrange de savoir sans pouvoir formuler ce que l’on sait.

Lui aussi avait peur. Il n’avait pas besoin que je lui dise ce que nous devions faire. Fuir.

— Il n’y a aucun espoir pour la reine, dit-il en se signant, puis en faisant le signe de croix sur mon front.

Nous étions déjà dans l’escalier en colimaçon.

En quelques minutes, nous étions hors du château.

Nous nous rendîmes tout droit vers un bateau couvert qui nous attendait sur les eaux sombres de la Tamise. En atteignant le fleuve, je m’aperçus que je n’avais pas dit adieu à ma mère. Une immense tristesse s’empara de moi, soudain remplacée par l’horreur d’être né dans cet endroit sinistre et hostile et à cette période inexplicable. Une fois de plus, un rude combat m’attendait. Si je l’avais pu, j’aurais préféré battre en retraite, mourir. Je regardai l’eau, dont l’odeur nauséabonde venait de la crasse de Londres et j’eus envie de mourir. Dans mon cerveau embrumé, j’aperçus le tunnel sombre par lequel j’étais venu et j’eus envie d’y retourner. Je me mis à pleurer.

Mon père m’entoura de ses bras.

— Ne pleure pas, Ashlar. C’est l’œuvre de Dieu.

— Comment ça, l’œuvre de Dieu ? Ma mère va sans doute être brûlée vive.

J’avais à nouveau envie de son lait. J’aurais dû en prendre plus avant de partir. L’idée que l’on pouvait condamner au bûcher ma mère, celle qui m’avait mis au monde, me donnait envie de mourir pour lui éviter cette torture.

Telles furent les premières heures après ma naissance. Tant que je serai de chair, je ne les oublierai jamais. Si je m’en souviens si bien, c’est parce que je me suis réincarné depuis. Mais j’ignorais tout du nom d’Ashlar. Comme vous allez le comprendre, je ne savais pas et ne saurai jamais qui était Ashlar.

J’insiste pour que vous compreniez bien : j’ignorais tout du saint d’origine.

Plus tard, j’allais faire des constatations, on allait me raconter des histoires. J’allais voir la cathédrale Saint-Ashlar et ses vitraux à Donnelaith. On allait me raconter que j’étais lui et que j’étais « revenu ».

Mais ce que je vais vous narrer maintenant est ce dont je me souviens, ce que je savais par moi-même.

Atteindre l’Ecosse nous prit des jours et des nuits.

C’était le milieu de l’hiver, les premiers jours après Noël. C’était l’époque de l’année où la peur s’emparait des paysans, où ils pensaient que les esprits se mettaient à marcher et que les sorcières faisaient leur vil travail. C’était l’époque où les paysans se détournaient des préceptes du Christ et où, revêtus de peaux de bêtes, ils allaient de porte en porte pour réclamer leur tribut aux habitants superstitieux. Une vieille coutume.

Nous dormions de temps en temps dans des auberges, lorsqu’il s’en trouvait une sur notre chemin, mais, le plus souvent, à même la paille avec un tas de pauvres bougres, souvent malades et bourrés de vermine. Nous faisions de fréquentes haltes pour que je puisse boire du lait chaud au pis de la vache. C’était bon, mais pas autant que le lait de ma mère. Je mangeais du fromage par pleines poignées.

Nous voyagions à cheval, enveloppés dans de lourdes couvertures et des peaux de bêtes. Pendant la majeure partie de notre périple, je passai mon temps à observer avec étonnement la neige qui tombait, les champs que nous traversions, les petits villages où nous cherchions refuge, avec leurs maisons à colombage et leurs chaumières disséminées. Dans les bois, il y avait des festivités : des feux brûlaient et des hommes vêtus de peaux de bêtes dansaient. Ceux qui restaient chez eux étaient transis de peur.

— Regarde, dit mon père. Les ruines du grand monastère. Là-bas, sur la colline. Cette abbaye a été construite au temps de saint Augustin. Le roi l’a fait brûler. Ce fut une époque de terreur pour tous les chrétiens. Tout a été pillé. Les religieuses ont été expulsées, les prêtres chassés, les statues brûlées, les fenêtres brisées. Les cloîtres abritent maintenant les rats des champs et les miséreux. Il n’en reste plus rien. Et dire que ce fut par la volonté d’un seul homme. Dire qu’un seul homme est capable de détruire le travail de tant d’autres. Ashlar, c’est la raison de ta venue.

J’avais des doutes. En fait, je craignais que cette affirmation ne soit pour mon père qu’une façon d’exprimer sa foi. Mon impression de savoir que la réalité était différente se rapprochait de ce que vous nommez l’incrédulité. C’était une sorte de doute inné, de sentiment que mon père faisait fausse route. Pourquoi ? Je l’ignorais.

Je vis à nouveau les cercles, ces nombreux cercles de silhouettes dansantes. Je tentai de distinguer les pierres, presque au centre.

Je fouillai mon esprit avec conscience et rigueur à la recherche des connaissances avec lesquelles j’étais né. Que j’aie déjà vécu avant était certain. Mais j’ignorais que cet homme était au courant des raisons de ma présence et, même, qui j’étais. J’étais persuadé que la vérité allait m’apparaître. Mais, encore une fois, comment pouvais-je en être persuadé ?

Nous parcourûmes à cheval les ruines du monastère, les sabots de nos montures claquant sur le sol de pierre du cloître sans toit. Je me mis à pleurer. Mon chagrin était immense. Cet endroit désolé, la perte de ma mère. J’étais désespéré. J’étais somme toute malheureux d’être à nouveau de chair. Mon père me réconforta :

— Calme-toi, Ashlar, nous rentrons chez nous. Cela ne s’est pas produit chez nous.

Nous pénétrâmes dans une forêt si sombre que nous distinguions à peine notre chemin. J’avais l’impression que des loups nous suivaient dans le noir. Je sentais leur odeur, leur fourrure et leur faim.

La forêt profonde nous mena jusque dans les montagnes. Les routes étaient de plus en plus escarpées et le point de vue sur la mer était splendide. Finalement, nous dûmes dormir à la belle étoile. Mon père et moi nous blottîmes l’un contre l’autre, sous d’épaisses couvertures, nos chevaux à nos pieds. Je me sentais vulnérable dans le noir, d’autant plus que j’entendais des murmures et des sons étranges.

Vers minuit, mon père se réveilla, se mit à pousser des jurons, se leva et dégaina son épée. Il semblait très en colère mais l’obscurité ne lui répondait pas.

— Ils sont faibles, stupides et éternels, marmonna-t-il.

— Qui, père ?

— Les Petites Gens. Mais ils n’obtiendront pas ce qu’ils veulent. Viens, nous ne pouvons pas continuer à dormir ici. De toute façon, nous ne sommes plus loin de chez nous.

Nous partîmes dans les ténèbres et, bientôt, un morne jour d’hiver, sans grande lumière, se leva.

Enfin, nous nous engageâmes dans l’étroit sentier rocheux du passage secret vers le vallon de Donnelaith.

Mon père me raconta l’histoire. Il existait deux autres accès connus à notre précieuse vallée : la route principale, où passaient sans arrêt les chariots apportant des produits au marché, et le loch, d’où les bateaux emportaient des marchandises par la mer. Ces deux voies étaient empruntées par le flot ininterrompu des pèlerins qui apportaient de l’or sur l’autel de saint Ashlar pour obtenir des miracles et posaient leurs mains sur le sarcophage du saint.

Le récit de mon père me remplit d’effroi. Qu’est-ce que ces gens voulaient de moi ? J’avais faim de lait, de crème, de nourriture épaisse, blanche et pure.

Mon père me raconta que les Highlands avaient été le siège de nombreuses guerres. Il y avait eu des batailles rangées et nous, le clan de Donnelaith, avions résisté au roi, qui n’avait pu détruire nos monastères ni saccager nos églises ni nous faire prêter serment contre le pape de Rome. Les Écossais entraient dans la vallée et les commerçants pénétraient dans le port sous bonne garde.

— Nous sommes des Highlands, nous sommes les chrétiens de saint Colomba et de saint Patrick. Nous sommes de la vieille Église irlandaise. Nous ne nous soumettrons pas au prétentieux roi du château de Windsor, qui ose se mesurer à Dieu, ni à l’archevêque de Canterbury, son laquais. Qu’ils soient tous les deux maudits. Que tous les Anglais soient maudits. Ils brûlent les prêtres, ils font des martyrs. Tu comprendras tout cela en temps voulu.

Ces paroles m’apportèrent la paix, mais j’aurais été incapable de dire qui étaient saint Colomba et saint Patrick. En essayant de rassembler mes connaissances innées, j’eus l’impression qu’elles s’étaient amoindries à mesure que nous avancions vers le nord. Avais-je su, dans les bras de ma mère, des choses que j’avais oubliées ? Avais-je su des choses dans son ventre ? Ces questions me hantaient.

J’étais né. J’étais de chair ! J’étais vivant et respirais à nouveau. Les ténèbres s’étaient dissipées. La neige moelleuse qui m’entourait faisait partie du monde des vivants. Le ciel bleu, dont aucun peintre n’était capable de capturer la couleur, était au-dessus de moi. En débouchant sur le vallon, du haut de la montagne, j’aperçus l’immense église.

La neige tombait en petits flocons. J’étais tellement habitué au froid que je ne m’en souciais plus. J’étais sous le charme du paysage qui s’étendait à nos pieds.

— Enveloppe-toi dans une couverture, dit mon père. Nous entrons dans le château. C’est chez nous.

Je n’avais pas envie de prendre le sentier menant au château. J’aurais préféré descendre jusqu’à la ville. C’était un bourg important, à l’époque. Cela n’avait rien à voir avec le petit village pathétique qui s’est construit plus tard sur ses ruines. Elle avait ses murailles et ses créneaux, ses citoyens et ses marchands, ses banquiers et son immense cathédrale. Tout autour, des fermiers vivaient sur une terre fertile qui donnait d’abondantes récoltes et des moutons bien gras.

Dans les collines au-dessus, se trouvaient des propriétés appartenant à des chefs de clan, moins importants mais loyaux envers Donnelaith, qui vivaient en paix sous notre protection.

De la fumée montait des centaines de cheminées serrées à l’intérieur des fortifications et des tours que l’on apercevait de loin en loin dans les bois. L’air fleurait bon les odeurs de cuisine.

Au centre de la ville s’élançait la massive cathédrale, facile à repérer au milieu des maisons. Ses clochers gothiques et ses toits pentus étaient couverts de neige. Son éclairage intérieur faisait ressortir les myriades de couleurs et de motifs enchanteurs de ses grands vitraux. Malgré l’heure tardive, je voyais le mouvement des centaines de gens qui entraient et sortaient.

— Père, je t’en prie, laisse-moi y aller, implorai-je.

J’étais attiré vers cet endroit comme si je le connaissais, ce qui n’était pas le cas. J’étais impatient de le découvrir.

— Non, mon fils, tu viens avec moi.

Nous nous dirigeâmes vers le château surplombant le loch. Chez nous.

Tout en bas, l’eau était couverte de glace mais, au printemps, me raconta mon père, les marchands affluaient par centaines, ainsi que les pêcheurs de saumons, et les rives étaient remplies de commerçants venus échanger leur lin contre la laine, les peaux et les poissons que nous vendions.

Le château, composé d’une succession de tours, n’était guère plus beau que l’affreux tas de pierres dans lequel j’étais né. À l’intérieur, je vis qu’il était moins luxueux que l’autre mais, néanmoins, qu’il fourmillait de vie.

La grande salle ressemblait à une grotte tant ses ornements – sa voûte en ogive et son escalier – étaient sobres. De toute évidence, on l’avait décorée en vue d’un grand banquet et les fées des bois elles-mêmes n’auraient pu créer un décor aussi chaud et charmant.

Le sol était entièrement recouvert de verdure, et de somptueuses guirlandes étaient accrochées de part et d’autre de l’escalier ainsi que sur les ogives et tout autour de la gigantesque cheminée. Des branches odorantes de pin d’Écosse étaient disposées un peu partout. Du gui et du lierre somptueusement arrangés faisaient de magnifiques décorations. Je connaissais toutes ces plantes. Je les connaissais par leur nom.

On aurait dit que les bois, dans toute leur splendeur, étaient entrés dans le château. Des dizaines de torches brillaient le long des murs et des chandelles jetaient leur lueur sur la longue table de banquet. On apportait des bancs pour les convives.

— Assieds-toi à table, ordonna mon père. Et tiens-toi tranquille.

Nous étions arrivés juste avant le début du banquet, un des douze banquets de Noël où tous les proches étaient invités à festoyer. À peine étions-nous assis sur un banc, au bout de la table, qu’entrèrent des hommes et des femmes parés de leurs plus beaux atours.

Leurs vêtements, bien que magnifiques, étaient très différents de ceux que l’on m’avait donnés à la cour de Londres. Beaucoup d’hommes portaient le kilt des Highlands. Les femmes avaient les mêmes coiffes que celles du château du roi mais leurs manches et leurs robes étaient plus simples, de couleurs vives, et plus d’une portait des bijoux.

J’étais fasciné par ces bijoux. On aurait dit que toutes les couleurs et la lumière autour de nous s’y reflétaient, comme happées par les morceaux de verre. Je me dis que si je jetais un rubis dans un verre d’eau, son scintillement et sa brillance feraient virer le liquide au rouge vif.

Mon esprit se délectait de cette sorte d’illusion d’optique. On introduisait dans le foyer une bûche aussi longue qu’un arbre entier. Ses branches, qui n’avaient pas été coupées, étaient brûlées aux extrémités, comme des bras dont on aurait tranché les mains. Le feu faisait rage et mon père m’expliqua en murmurant que c’était la bûche de Noël, que ses frères l’avaient traînée hors des bois jusqu’à cette salle. Elle allait brûler pendant les douze jours de Noël.

Tandis que des dizaines de gens prenaient place de part et d’autre de la longue table, le laird lui-même descendit l’escalier, le père de mon père, Douglas, le comte de Donnelaith.

C’était un homme à la barbe et aux cheveux blancs, aux joues très rouges, habillé d’un vêtement écossais très ornementé. Il était accompagné de trois belles femmes qui n’étaient autres que ses filles, mes tantes.

Mon père me rappela de me tenir tranquille car je commençais à attirer l’attention. Les gens se demandaient : « Qui est ce grand jeune homme ? » Ma barbe et ma moustache brun foncé étaient maintenant longues et l’on ne pouvait plus me prendre pour un enfant. Mes cheveux avaient également pousse.

Lorsque tous les invités furent assis, un chœur de moines prit place sur les marches de pierre. Vêtus de robes blanches, ils étaient tous tonsurés, c’est-à-dire qu’il ne leur restait qu’une couronne de cheveux au-dessus des oreilles. Ils entonnèrent un chant magnifique, à la fois allègre et mélancolique. La musique me frappa avec une telle force que je fus littéralement saisi, comme transpercé par une flèche, et que j’en eus la respiration coupée.

J’étais conscient de ce qui se passait autour de moi. On avait apporté l’énorme tête de sanglier rôti, entourée de verdure, de décorations d’or et d’argent, de bougies et de pommes de pin.

De jeunes garçons apportèrent les sangliers du repas à même les broches sur lesquelles ils avaient cuit, les posèrent sur des dessertes et commencèrent à découper des pièces de viande fumantes.

Je voyais tout cela, je l’entendais. Mais mon esprit était tout entier consacré à la musique des moines, au chant de Noël gaélique qui s’élevait de leurs bouches :

 

L’enfant qui repose dans les bras de Marie…

 

C’était un très vieux chant d’Irlande et d’Écosse. Si vous connaissez cette mélodie, vous comprendrez peut-être l’intensité de cet instant pour moi. Mon cœur chantait avec les moines et la pièce entière était absorbée par la musique.

Je ressentais la même béatitude que dans le ventre de ma mère. Où était-ce ailleurs, dans une autre vie ? Je l’ignore. En tout cas, cette sensation était si forte et si profonde qu’elle ne pouvait être nouvelle. Ce n’était pas une sorte d’excitation frénétique mais de la pure joie. Je me rappelai avoir dansé, les bras écartés pour attraper les mains de mes voisins. Cet instant, dans mes souvenirs, me paraissait précieux, comme s’il m’avait beaucoup coûté, longtemps auparavant.

La musique s’arrêta aussi net qu’elle avait commencé. On servit du vin aux moines, qui s’en allèrent. Un gai brouhaha de voix enjouées s’éleva.

Le laird se leva et porta un toast. On servit du vin et tout le monde se mit à manger. Mon père me choisit des morceaux prélevés sur d’énormes roues de fromage et veilla à ce que je les mange à la façon d’un homme normal. Il envoya chercher du lait pour moi, ce qui passa inaperçu auprès des invités très occupés. Tout le monde parlait et riait. Il y eut même quelques disputes violentes entre les hommes les plus jeunes.

Mais, à mesure que le temps passait, je constatais que les gens s’intéressaient de plus en plus à moi, me regardaient puis chuchotaient quelque chose à l’oreille de leur voisin, ou me montraient du doigt. Certains allaient jusqu’à se pencher vers mon père pour lui demander : « Mais qui est cet homme que tu as convié à dîner avec nous ? »

Heureusement, un éclat de rire soudain ou un échange de propos lui évitaient chaque fois de répondre. Mon père mangeait sans enthousiasme et regardait anxieusement autour de lui. Subitement, il se mit debout et leva sa coupe. Je distinguais mal son profil et ses yeux, cachés par sa longue chevelure désordonnée, mais j’entendis sa voix forte, qui domina le vacarme :

— À mon père bien-aimé, à ma mère, mes aïeux et mes parents ! Je vous présente ce garçon, Ashlar, mon fils !

Des applaudissements s’élevèrent de la foule, une sorte de grondement formidable, qui se transforma soudain en un lourd silence entrecoupé de murmures et de halètements. Tout le monde se tut et une foule d’yeux se fixèrent sur mon père et moi. Il baissa la main, m’attrapa et me fit lever. J’étais plus grand que lui, qui était de la même taille que tous les hommes de l’assemblée.

Des chuchotements et des halètements se firent de nouveau entendre. Une des femmes poussa un cri. Les yeux bleus du laird lui-même me lancèrent un regard meurtrier sous d’épais sourcils gris. Effrayé, je regardais tout autour de moi.

Les moines, restés dans le vestibule, réapparurent. Un ou deux s’avancèrent pour m’observer de plus près.

L’aspect de ces créatures chauves aux longues robes comme celles des femmes m’étonnait. Mais, plus ils approchaient, plus l’assemblée s’effrayait.

— C’est mon fils ! déclara mon père. Mon fils, je vous dis. Ashlar est revenu !

Cette fois, toutes les dames se mirent à crier et quelques-unes tombèrent évanouies. Les hommes se levèrent, tout comme le laird, qui frappa des deux poings sur la table, renversant les coupes, éparpillant les couteaux, répandant du vin et faisant s’entrechoquer les assiettes.

Malgré son grand âge, il grimpa sur son banc.

— Taltos ! dit-il à voix basse en me lançant un regard mauvais.

Taltos ? Je connaissais ce mot.

L’instinct m’aurait poussé à m’enfuir si mon père n’avait pas maintenu ma main serrée, me forçant à me tenir droit à son côté. Des invités quittaient la salle. La plupart des femmes furent prestement accompagnées hors de la pièce par leurs cavaliers, dont les plus âgés étaient visiblement perturbés.

— Non ! s’écria mon père. C’est saint Ashlar, réincarné. Parle-leur, mon fils. Dis-leur que c’est un signe du ciel !

— Mais que dois-je dire, père ?

En entendant ma voix, qui ne me paraissait pourtant pas anormale, la compagnie fut prise de panique. Les gens se précipitèrent vers les portes. Poings serrés, le laird monta sur la table à tréteaux et, du bout de ses pieds, écarta de son chemin les assiettes chargées de victuailles. Les serviteurs étaient partis se mettre à l’abri et toutes les femmes avaient disparu.

Seuls deux des moines étaient restés. L’un se tenait devant moi. Grand, mais pas autant que moi, il avait des cheveux roux et des yeux verts. Il m’adressa un sourire qui produisit sur moi le même effet que la musique, une sorte d’apaisement qui me serra le cœur.

Je savais que les autres avaient peur de moi. Ils s’étaient enfuis, saisis par la même panique que les femmes de ma mère, et ma mère elle-même, après ma naissance.

J’essayais de comprendre ce qui se passait. Je dis :

— Taltos.

J’espérais secrètement que ce mot allait faire surgir les révélations contenues en moi. Mais rien ne se passa.

— Taltos, répondit le prêtre.

Je ne le savais pas encore, mais c’était un prêtre franciscain. Il me sourit à nouveau gentiment.

Il ne restait donc plus que mon père, moi, le prêtre, le laird, debout sur la table, et trois hommes tapis contre la cheminée, comme attendant quelque chose.

Leur présence, l’anxiété avec laquelle ils regardaient le laird et le regard du laird lui-même m’effrayaient.

— C’est Ashlar ! cria mon père. Vous ne voyez donc pas ? Que doit faire Dieu pour vous ouvrir les yeux ? Foudroyer la tour ? Père, c’est lui !

Je m’aperçus que je tremblais de tout mon corps. C’était une sensation étrange, toute nouvelle pour moi. Même le froid de l’hiver ne m’avait pas fait trembler. Incapable de me contrôler, j’avais l’impression que c’était la terre sous mes pieds qui tremblait et j’avais du mal à rester debout.

Le prêtre s’approcha de moi. Ses yeux verts me rappelaient des pierres précieuses, hormis le fait que leur matière était visiblement molle. Il tendit le bras et caressa doucement mes cheveux, presque tendrement, puis ma joue et ma barbe.

— C’est Ashlar, murmura-t-il.

— C’est le Taltos, c’est le Diable ! déclara le laird. Jetez-le au feu.

Les trois hommes près de la cheminée s’avancèrent mais mon père et le prêtre se placèrent devant moi. Vous représentez-vous bien la scène ? L’un appelant à ma destruction, comme s’il était l’archange saint Michel, et les autres me prenant sous leur protection.

Je fixai le feu avec terreur, me rendant à peine compte qu’il pouvait me consumer, que je souffrirais mille morts si l’on me jetait dedans et que, une fois encore, je perdrais la vie. J’avais l’impression d’entendre les cris de milliers de suppliciés. Mais, tandis que ma peur atteignait son paroxysme, mon esprit se concentra sur le violent tremblement de mon corps et la tension dans mes mains.

Le prêtre me prit dans ses bras et me conduisit hors de la salle.

— Nul ne détruira ce que Dieu a fait, dit-il.

Je faillis pleurer lorsqu’il me toucha, lorsque ses bras chauds me guidèrent vers l’extérieur.

Le prêtre et mon père m’emmenèrent hors du château. Le laird, me considérant avec suspicion, nous accompagnait. Nous prîmes le chemin de la cathédrale. Il neigeait toujours et les passants étaient emmitouflés dans de gros manteaux de laine et de fourrure. Il était presque impossible de distinguer s’ils étaient des hommes ou des femmes, tant ils étaient couverts, leurs corps voûtés pour se protéger contre le froid. Certains n’étaient pas plus grands que des enfants, mais ils avaient des visages de vieillards noueux.

La cathédrale était ouverte, tout illuminée, et les fidèles chantaient. À mesure que nous avancions, je vis que des décorations de verdure ornaient ses grands portails en ogive. La beauté des chants me transportait de joie, l’odeur des pins embaumait l’air et une fumée délicieuse était portée par le vent.

À l’intérieur, le chant avait quelque chose de jubilatoire, plus discordant mais aussi plus enjoué et enlevé que celui des moines. Je ne fus pas saisi par le rythme, mais plutôt par l’allégresse générale. Les larmes me montèrent aux yeux.

Nous nous mîmes dans les rangs des fidèles qui entraient dans l’église et commençâmes à progresser lentement. Dieu merci, car mes jambes me portaient à peine à cause de la musique. Le laird avait remonté sa cape jusque sur son visage, mon père n’avait pas quitté son manteau de fourrure depuis notre départ et le prêtre avait rabattu sa capuche pour se protéger du froid. Les trois hommes, surpris par ma faiblesse, me soutenaient littéralement, pas après pas.

Le flot des pèlerins avançait donc très lentement vers l’immense nef et, bien que distrait par la musique, je fus ébahi par la taille et la profondeur de la cathédrale. Je n’avais jamais vu de structure aussi haute et gracieuse. Ses fenêtres me semblaient si hautes et étroites, ainsi que ses croisées d’ogives, qu’elles devaient être l’œuvre de dieux. Tout au bout, loin au-dessus de l’autel, se trouvait un vitrail en forme de fleur. Dans mon esprit de nouveau-né, il me parut qu’il ne pouvait être de la main de l’homme. J’étais véritablement impressionné et troublé.

Enfin, tandis que nous approchions de l’autel, j’aperçus ce qu’il y avait au-delà. C’était une grande étable au sol couvert de foin et abritant une vache, un bœuf et un mouton. Ces animaux piaffaient au bout de leur longe et une chaude odeur d’excréments montait du lit de paille. Devant eux se trouvaient un homme et une femme de pierre. Bien entendu, ils n’étaient que des symboles aux yeux et aux cheveux peints. Entre eux, dans un lit minuscule, reposait un enfant de marbre, comme l’homme et la femme, mais plus potelé et plus brillant, aux lèvres souriantes et aux yeux taillés dans du verre scintillant.

Ce fut pour moi une révélation. Je vous ai dit à quel point les yeux du prêtre me faisaient penser à des pierres précieuses, et le rapport immédiat que j’y vis avec les yeux artificiels de ce bébé me laissa tout pantelant.

La musique s’insinuait dans mes pensées, empêchant toute idée cohérente de se former, quand, soudain, la triste vérité m’apparut :

Je n’avais jamais été un enfant nouveau-né comme celui-ci. Tous les gens qui m’entouraient l’avaient été, eux. C’étaient ma taille et le fait que j’étais doué de parole qui avaient terrifié ma mère. J’étais un monstre. C’était une évidence soulignée par la panique qui s’était emparée des femmes à ma naissance. Je savais. Je savais que je n’appartenais pas à la race humaine.

Le prêtre me dit de m’agenouiller et d’embrasser l’enfant, qu’il était le Christ mort pour la rédemption de nos péchés. Puis il pointa le doigt vers le crucifix accroché à une haute colonne sur la droite. Je vis un homme aux mains et aux pieds ensanglantés. Je sus instantanément que l’enfant nouveau-né et le Christ de la croix étaient le même personnage. Les cris des suppliciés me revinrent en mémoire.

La musique me donnait le vertige. Je me sentais au bord de la défaillance. L’instant était peut-être proche, où le passé allait m’être enfin révélé.

En réalité, d’autres moments encore plus douloureux allaient venir et je n’en ai jamais su davantage.

En examinant le crucifix, je me mis à frissonner en pensant à la mort atroce du Christ. Il me semblait monstrueux que quelqu’un ait pu créer un enfant aussi rayonnant pour le faire mourir de cette façon. Puis je me dis que tous les êtres humains venaient au monde pour mourir un jour. Ils naissaient innocents et luttaient pour apprendre à vivre avant même de savoir de quoi il retournait. Je m’agenouillai et embrassai le bébé de pierre, entièrement peint pour ressembler à la réalité. J’observai le visage de l’homme et de la femme puis mon regard se porta sur le prêtre.

La musique s’était éteinte et l’on n’entendait plus que les chuchotements des fidèles résonnant sous la voûte.

— Viens, Ashlar, dit le prêtre en m’entraînant rapidement à travers la foule, impatient de me soustraire à l’attention de tous.

Nous entrâmes dans une chapelle contiguë à la nef principale. Un flot constant de fidèles, admis deux par deux, y pénétrait. Le prêtre ordonna aux moines en robe de bure qui montaient la garde de fermer les portes et de prier les gens de patienter quelques instants.

Il prétendit que le laird voulait faire sa prière du soir à saint Ashlar. Cela parut tout naturel. Les pèlerins tombèrent à genoux et se mirent à dire leur chapelet.

Nous nous retrouvâmes seuls dans la chapelle de pierre, dont les murs étaient moitié moins hauts que ceux de la nef. Mais ce lieu saint, plus confiné, n’en était pas moins grandiose. Des rangées de cierges brûlaient sous les fenêtres. Un grand sarcophage orné d’une effigie reposait au centre de la pièce. C’était autour de cette longue boîte de pierre que les gens venaient se recueillir, priaient et baisaient les mains du gisant sculpté qui la surmontait.

— Regarde, mon garçon, dit le prêtre en désignant du doigt non pas le sarcophage mais le vitrail exposé à l’ouest.

Le verre était assombri par la nuit extérieure mais je distinguai le personnage enchâssé dans la résille de plomb. C’était un homme de haute taille vêtu d’une longue robe et coiffé d’une couronne. Il dépassait en taille les personnages qui l’entouraient, ses cheveux étaient aussi longs que les miens, sa barbe et sa moustache étaient taillées comme les miennes.

Trois strophes en latin étaient inscrites dans le verre. Je ne les comprenais pas. Le prêtre s’approcha du mur, me les montra de l’index et les traduisit :

 

Saint Ashlar, bien-aimé du Christ

Et de la sainte Vierge,

Qui reviendra

Guérir les malades,

Consoler les affligés,

Atténuer la souffrance

De ceux qui vont mourir.

 

 

Sauve-nous

Des ténèbres éternelles,

Chasse les démons du vallon,

Sois notre guide

Vers la lumière.

 

Ces mots m’inspiraient de la révérence. La musique reprit, distante, mais toujours aussi joyeuse. Je résistai, luttant pour qu’elle ne m’envahisse pas, mais en vain. L’enchantement des mots latins se dissipa et l’on m’emmena.

Un instant plus tard, nous étions chez le prêtre, dans la sacristie de la cathédrale, assis à sa table. La pièce était petite et chaude, très différente de celles que j’avais connues jusque-là, sauf, peut-être dans les auberges de village. Je la trouvais très agréable.

Je mis mes mains devant le feu puis, me rappelant que le laird avait eu l’intention de me faire brûler, je les retirai immédiatement et les enfouis sous ma pèlerine de velours.

— Que signifie Taltos ? demandai-je soudain en me tournant vers les trois hommes. Pourquoi m’a-t-on nommé ainsi ? Et qui est Ashlar, le saint qui revient ?

Mon père ferma les yeux de contrariété et baissa la tête. Son père me regarda avec une juste colère, tandis que le prêtre continuait de me regarder comme si j’étais descendu du ciel. Ce fut lui qui me répondit :

— Tu es lui, mon fils. Tu es Ashlar. Dieu a accordé à Ashlar de revenir sans cesse dans le monde pour l’honneur et la gloire de son Créateur et l’a affranchi des lois de la nature, tout comme la Vierge et le prophète Élie sont montés au ciel, corps et âme. Dieu a veillé à ce que tu retournes plus d’une fois dans le monde des vivants en naissant d’une femme et, parfois, du péché d’une femme.

— Ça, c’est sûr ! dit sombrement le laird. Quand ce n’est pas l’œuvre des Petites Gens, c’est le fruit du péché d’une sorcière et d’un fils de notre clan.

Mon père était à la fois inquiet et honteux. Je regardai le prêtre. J’avais envie de parler de ma mère, de son sixième doigt à la main gauche, de la façon dont elle l’avait levé en disant que c’était un doigt de sorcière. Mais je n’osais pas en parler. Le vieux laird voulait me détruire. Je percevais sa haine ; elle était pire que la plus terrible indifférence.

— La marque de Dieu est sur cette naissance, ajouta le grand laird. Mon satané fils a accompli ce qu’aucun des Petites Gens n’a été capable de faire pendant des siècles.

— Avez-vous vu le gland tomber du chêne ? demanda le prêtre. Comment savez-vous que cet enfant est un échange et non un de vos fils, hein ?

— Elle avait le sixième doigt, murmura mon père.

— Et tu as couché avec elle ! s’exclama le laird.

Mon père acquiesça de la tête et murmura qu’elle était une grande dame, qu’il ne pouvait révéler son nom mais qu’elle était assez puissante pour l’avoir effrayé.

— Personne ne doit savoir ça, dit le prêtre. Personne ne doit savoir ce qui s’est passé. Je vais prendre en main cet enfant béni et veiller à ce qu’il consacre sa vie à la Vierge et ne touche jamais au corps d’une femme.

Puis il me fit entrer dans une chambre où je devais passer la nuit et verrouilla la porte derrière moi. La fenêtre était minuscule et de l’air froid entrait dans la pièce, mais, à travers elle, je voyais un petit morceau de ciel et quelques minuscules étoiles brillantes.

Que signifiaient donc tous ces mots ? Je l’ignorais. Monté sur le lit pour regarder par la fenêtre, j’aperçus la noire forêt et la ligne de crête des montagnes et fus pris de peur. Je crus voir arriver les Petites Gens, les entendre. Ils se servaient de tambours pour paralyser le Taltos, le rendre impuissant afin de l’encercler. Fais-nous un géant, fais-nous une géante. Engendre une race qui punira les gens et les chassera de la terre. Nul doute que l’un d’eux allait grimper sur le mur, arracher les barreaux et que tous entreraient dans ma chambre !

Je tombai à la renverse sur le lit mais, lorsque je levai les yeux, les barreaux étaient intacts. J’avais trop d’imagination.

J’avais passé des nuits dans des auberges mal famées remplies de fieffés ivrognes et de femmes de mauvaise vie, et dans les bois, où les loups eux-mêmes fuyaient devant les Petites Gens. Ici, j’étais en sécurité.

Une heure environ avant le lever du jour, le prêtre m’appela. Il devait se passer quelque chose car une cloche sonnait sans interruption. Pendant mon sommeil, je l’avais entendue s’acharner comme le marteau sur l’enclume.

Le prêtre me secoua l’épaule.

— Viens avec moi, Ashlar.

J’aperçus les créneaux de la ville, les torches du guet, le ciel noir étoilé. Le sol était toujours enneigé. La cloche ne cessait de sonner. Son bruit me transperçait et me secouait au point que le prêtre dut me soutenir pour que je marche droit.

— C’est le glas du diable, m’expliqua-t-il. Il sert à chasser les démons et les esprits hors de la vallée, à disperser les Sluagh, les Ganfers et tout être malfaisant rôdant dans le vallon, à mettre en déroute les Petites Gens qui ont osé s’aventurer dehors. Ils savent peut-être déjà que tu es là. Le glas nous protège en les repoussant dans la forêt où ils ne peuvent faire aucun mal, sauf à ceux de leur propre espèce.

— Mais qui sont ces êtres ? demandai-je. Le bruit de cette cloche me fait peur.

— Non, mon enfant. Elle ne doit pas t’effrayer. C’est la voix de Dieu. Applique-toi à marcher, nous allons dans l’église.

Son bras était chaud et fort autour de mes épaules. Il me poussa en avant et m’embrassa de nouveau, presque tendrement, sur la joue.

— Oui, mon père, dis-je.

Son affection était aussi agréable pour moi que boire du lait.

La cathédrale était déserte. Le son de cloche me parut plus distant car, le beffroi étant très haut, il s’élevait vers la montagne et ne pénétrait pas à l’intérieur de la cathédrale.

Le prêtre m’embrassa de nouveau tendrement le visage et me fit entrer dans la chapelle du saint. Il faisait froid en l’absence des centaines de corps chauds pressés les uns contre les autres.

— Tu es Ashlar, mon fils. Aucun doute à ce sujet. Maintenant, dis-moi ce que tu te rappelles à propos de ta naissance.

Je n’avais pas envie de répondre. Une honte atroce me prit en revoyant ma mère crier de peur, me repousser avec ses mains tandis que mes lèvres tétaient son sein.

Je restai muet.

— Père, dites-moi qui est Ashlar, dites-moi ce que je suis censé faire.

— Très bien, mon fils, je vais tout te raconter. Tu vas partir pour l’Italie, dans la maison de notre ordre à Assise, et tu y feras tes études de prêtrise.

Je réfléchis mais, en fait, je n’y comprenais rien.

— Dans ce pays, les bons prêtres sont persécutés, poursuivit-il. Hors de cette vallée, les rebelles partisans du roi, les luthériens fanatiques et toutes sortes d’agitateurs cherchent à nous détruire, nous et notre cathédrale. Tu as été envoyé pour nous sauver mais tu dois d’abord recevoir une instruction et être ordonné prêtre. Et, avant toute chose, tu dois te consacrer à la Vierge. Tu ne devras jamais toucher une femme et tu devras faire vœu d’abstinence pour la gloire de Dieu. Ne l’oublie jamais, le péché de la chair n’est pas pour toi. Fais ce que tu veux avec les autres frères. Du moment que tu sers Dieu, cela n’a aucune importance. Mais jamais avec une femme. Ce soir, des hommes viendront te chercher et t’accompagneront en bateau jusqu’en Italie. Ensuite, lorsque Dieu nous enverra un signe ou te révélera sa volonté, tu reviendras.

— Et que devrai-je faire ?

— Conduire les gens dans la prière, dire la messe, leur imposer les mains et les guérir, comme tu le faisais autrefois. Arracher les gens à ces démons luthériens. Être le saint.

J’avais l’impression que c’était un mensonge ou, plutôt, une tâche impossible. Où était l’Italie ? Pourquoi devais-je partir ?

— En suis-je capable ?

— Oui, mon fils, tu en es capable.

Puis, à voix basse, il dit avec un petit sourire malveillant : « Tu es le Taltos. Le Taltos est un miracle. Il peut accomplir des actes miraculeux. »

— Alors, les deux histoires sont vraies ! m’exclamai-je. Je suis le saint et je suis le monstre au nom étrange.

— Quand tu seras en Italie, tu iras à la basilique de saint François, le saint te donnera sa bénédiction et tout sera entre les mains de Dieu. Les gens redoutent le Taltos, ils racontent un tas de légendes, mais le Taltos ne revient que tous les quelques siècles et c’est toujours de bon augure. Saint Ashlar était un Taltos et c’est pourquoi, nous qui savons, disons qu’il revient.

— Alors, je ne suis pas un mortel, dis-je. Et vous voulez que j’imite ce saint.

— Tu n’es pas bête pour un Taltos, tu sais ? Et, pourtant, tu possèdes la simplicité, la bonté divine. Pour ne pas heurter ton cœur pur, j’exprimerai la situation de cette façon : tu dois faire un choix. Tu peux être le méchant Taltos ou le saint. Que ne donnerais-je pour avoir un tel choix à faire ! Pour ne pas être un prêtre sans défense à une époque où les prêtres sont brûlés vifs par le roi d’Angleterre, ou écartelés, ou pis. En Allemagne, le jour où Luther a reçu la révélation de Dieu, il était à la selle en train de déféquer à la face du Malin ! C’est ça la religion aujourd’hui. Veux-tu errer dans le vallon et les ténèbres et mener une vie de mendicité et de terreur ? Ou préfères-tu être notre saint ?

Sans attendre ma réponse, il dit d’une voix basse et triste :

— Sais-tu que sir Thomas More lui-même a été exécuté à Londres, sa tête coupée et plantée sur un piquet du pont de Londres ? C’est la putain du roi qui l’a réclamé. Voilà où nous en sommes !

J’avais envie de prendre mes jambes à mon cou. Je me demandai si je pouvais le faire. Je me serais bien enfui tandis que l’aube se levait, que les oiseaux d’hiver commençaient à chanter. Les paroles du prêtre me troublaient et me tourmentaient mais j’avais trop peur des bois avoisinants et de la vallée elle-même pour bouger. Sous l’effet d’une terreur indicible, mon cœur se mit à battre à tout rompre et mes mains se couvrirent de sueur.

— Un Taltos n’est rien, dit-il en se penchant vers moi. Va dans la forêt si tu veux en être un. Les Petites Gens te trouveront, te feront prisonnier et t’obligeront à engendrer une légion de géants. Mais cela ne sera pas. C’est impossible. Ta progéniture sera monstrueuse ou ne sera pas. Imagine que tu peux devenir un saint !

Ah oui, les Petites Gens ! Je le regardai et tentai de le comprendre.

Lourdement armés et couverts de capes de fourrure, plusieurs hommes entrèrent dans la cathédrale. Le prêtre leur donna des ordres en latin, langue que je ne comprenais pas. Je savais qu’on allait m’emmener en Italie par bateau et que j’étais prisonnier. Terrorisé, désespéré, je tournai mon visage vers le vitrail de saint Ashlar, comme s’il pouvait me sauver.

À cet instant précis, un miracle se produisit. Le soleil s’était levé et la lumière extérieure éclaira soudain le vitrail en le teintant de vives couleurs. Le saint sembla s’embraser. Il me souriait, ses yeux sombres brillant dans le verre, ses lèvres roses, sa robe rouge. C’était une illusion d’optique due à la couleur de l’aurore, mais je ne pouvais en détacher mes yeux.

Une intense quiétude s’installa en moi.

Je repensai au visage horrifié de ma mère, à ses cris résonnant dans la petite chambre. Je vis les membres du clan de Donnelaith me fuir comme des rats.

— Sois le saint ! me chuchota le prêtre.

À cet instant, je sus ce que je devais faire, mais je n’avais pas le courage de prononcer les mots.

J’observai le vitrail, relevant tous les détails concernant le saint. Il était pieds nus sur les corps gisants des Petites Gens… les Ganfers, les Sluagh, les démons de l’enfer. Il tenait à la main une lance dont la pointe transperçait le corps du diable. J’examinai avec soin les corps bien dessinés des nains. J’entendais mon cœur cogner dans ma poitrine.

La lumière du dehors s’était intensifiée et les couleurs les plus vives du vitrail commençaient à scintiller. Le saint était fait de pierres précieuses. Une vision chatoyante d’or étincelant, de bleu intense, de rouge rubis et de blanc éclatant.

— Saint Ashlar ! murmurai-je.

Les hommes armés s’emparèrent de moi.

— Va avec Dieu, Ashlar. Donne-lui ton âme et lorsque la mort reviendra, tu connaîtras la paix.

Telle fut ma naissance, messieurs. Mon retour au bercail. Je vais maintenant vous raconter les événements qui suivirent et les sommets que j’allais atteindre.

On m’emmena donc sans que j’aie revu le vieux laird. Je me demandais si je reverrais un jour le vallon, la cathédrale ou le prêtre. Un petit bateau m’attendait. Il se fraya un chemin entre les plaques de glace qui encombraient le port, puis longea la côte vers le sud jusqu’à un bateau plus grand, sur lequel on me fit embarquer. Dans ma cabine exiguë, je me sentais comme un prisonnier. Je ne buvais que du lait car j’étais dégoûté par toute autre forme de nourriture et la mer houleuse me rendait malade.

Personne ne prit la peine de m’expliquer pourquoi on m’enfermait et nul ne se souciait de mon confort. Bien au contraire, je n’avais rien à étudier ni à lire, ni même un chapelet pour prier. Les hommes barbus chargés de ma surveillance semblaient effrayés par moi et refusaient de répondre à mes questions. Il ne me restait qu’une seule distraction : chanter des chansons en inventant des paroles à partir de mots que je connaissais.

Parfois, j’avais l’impression de fabriquer des paroles comme d’autres fabriquent des guirlandes de fleurs. Je ne me préoccupais que de la beauté des mots. Je chantais pendant des heures. J’aimais le son de ma voix profonde. Allongé, les yeux fermés, je prenais plaisir à chanter des variations des hymnes que j’avais entendues à Donnelaith. J’étais comme en transe et je ne m’arrêtais de chanter que lorsque quelque chose me tirait de cet état de stupeur ou que je sombrais dans le sommeil.

Au bout d’un temps impossible à évaluer, je m’aperçus que nous étions sortis de l’hiver. Nous longions la côte italienne et à travers le petit hublot à barreaux, je vis que le soleil éclairait de ses rayons des collines vertes et des falaises d’une beauté indescriptible. Nous abordâmes enfin dans une ville énorme. C’était la première fois que j’en voyais une.

Mes deux gardiens me firent débarquer et m’emmenèrent, toujours sans répondre à mes questions, jusqu’à la porte d’un monastère. Ils tirèrent la cloche et me laissèrent seul après m’avoir jeté un petit paquet dans les mains.

Aveuglé par le soleil, je restai là sans bouger. Lorsque je me retournai, je vis un moine qui venait d’ouvrir la porte et m’examinait de la tête aux pieds. Je portais toujours mes beaux vêtements de Londres, maintenant froissés et salis par le long voyage, et ma barbe et mes cheveux avaient beaucoup poussé. Je n’avais rien d’autre que le paquet que, de confusion, je remis au moine.

Il le déballa immédiatement et en sortit une sorte de tissu chiffonné. Je compris qu’il s’agissait d’une feuille de parchemin pliée en quatre.

— Entre, je te prie, me dit gentiment le moine.

Il jeta un regard sur le parchemin qu’il n’avait pas déplié puis partit rapidement en me laissant dans une magnifique cour très calme remplie de fleurs dorées et réchauffée par le soleil de midi. Au loin, j’entendais des chants mélancoliques et des voix masculines semblables à celles des moines de Donnelaith. J’adorais les chants. Je fermai les yeux pour m’imprégner de la mélodie et du parfum des fleurs.

Plusieurs moines arrivèrent alors dans la cour. Ceux d’Écosse étaient vêtus de blanc alors que ceux-ci portaient de grossières robes marron et des sandales aux pieds. Ils m’entourèrent et se mirent à m’embrasser sur les joues et à m’étreindre.

— Frère Ashlar ! me dirent-ils, presque en chœur.

Leurs sourires étaient si chaleureux et affectueux que je me mis à pleurer.

— C’est ici que tu vas vivre dorénavant. N’aie plus peur de rien. Tu vas vivre et t’épanouir dans l’amour de Dieu.

L’un d’eux avait le parchemin ouvert dans une main.

— Qu’y a-t-il d’écrit ? demandai-je en anglais.

— Que tu as consacré ta vie au Christ. Que tu vas suivre les pas de notre fondateur, saint François. Que tu vas être un prêtre de Dieu.

Nullement effrayés par moi, ils se mirent à nouveau à m’embrasser et m’étreindre. Je compris qu’ils ignoraient tout de moi, qu’ils ne connaissaient pas les circonstances de ma naissance. Examinant en pensée mes mains, mes jambes et mes cheveux, je me dis que, à part ma haute taille et mes longs cheveux, je pouvais passer pour l’un des leurs.

Cette découverte m’interloqua.

Pendant tout le repas du soir, où ils me nourrirent bien mieux qu’ils ne se nourrissaient eux-mêmes, je restai silencieux, ne sachant que faire ou dire. Il semblait évident que je pouvais quitter cet endroit selon mon gré, que j’avais le droit de m’en aller.

Pour quoi faire ? me disais-je. Je les accompagnai à la chapelle et chantai avec eux. Lorsqu’ils entendirent ma voix, ils hochèrent la tête et sourirent d’approbation. Bientôt, je fus absorbé par le chant, tout en regardant le crucifix, comme à Donnelaith, symbole du Christ cloué sur la croix. Je vous en parle afin que vous vous représentiez l’effet que pouvait produire sur moi la vision de ce corps torturé, flagellé, sanguinolent, la tête couverte d’une couronne d’épines.

Un grand sentiment de bonheur s’empara de moi et je conclus un marché avec moi-même : j’allais rester quelque temps. Je pouvais m’enfuir à n’importe quel moment mais, si je le faisais, je perdrais cet endroit, je perdrais saint Ashlar.

Le soir, lorsqu’on me mit dans ma cellule, je dis :

— Ce n’est pas la peine de fermer à clé.

Ils furent surpris et embarrassés. Ils n’avaient pas l’intention de m’enfermer et, de toute façon, il n’y avait pas de serrure.

Je m’allongeai, fort de savoir que j’étais là de mon plein gré, par cette chaude nuit sous le ciel d’Italie. Je me mis à rêvasser. De temps en temps, j’entendais chanter dans la chapelle.

Le matin, on vint me chercher pour aller à Assise, et je répondis que j’étais prêt. On m’expliqua que nous allions faire le chemin à pied, car nous étions des franciscains, des frères de l’observance fidèles à la règle de saint François, et que nous ne montions jamais à dos de cheval.

 

L'heure des Sorcières
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